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Le souffle du vent sur les cordes d'un violon désaccordé
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26 mars 2008

Etienne Pivert de Senancour, 1770-1846. Le romantisme éternel

je ne supporte pas un blog ne faisant qu'étaler ma non-vie...

            Au cours d’une longue existence généralement solitaire, Senancour ne connut ni la gloire ni le bonheur. Riche d’aspirations et de sensibilité, il se montre dès l’adolescence profondément inadapté à la vie sociale. Il est l’unique enfant d’un couple venu au mariage par un goût commun du couvent. Dans son enfance, terne et triste, il se réfugie dans l’étrange univers qu’il imaginait d’après les récits des voyageurs ou de Robinson Crusoé ; au collège, il préfère la lecture aux jeux de ses camarades, celle d’auteur comme Buffon, Malebranche, Helvétius.

            Il se marie à Fribourg, en 1790, mais son union n’est pas heureuse ; il dit lui-même que le jour de ses noces fut le jour le plus triste de sa vie Elle aboutira à une séparation définitive en 1802. Rentré en France, il y connaît la détresse d’un amour malheureux (sa passion pour Mme Walckenaer) bientôt aggravée par les difficultés financières. Il devient précepteur puis publiciste pour gagner sa vie. Face à ces déceptions, il ne lui restait plus qu’à se réfugier dans le rêve, loin de ces tristesses. L’imaginaire lui offre ainsi des compensations ; il pace en son monde intérieur un jardin planté de fleurs symboliques, violette du premier amour, jonquilles de ses désirs mystiques pour la femme-ange à jamais lointaine.   

            La trentaine fut pour lui l’âge des illusions perdues. Cette prise de conscience aboutit à deux œuvres importantes : les Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1799 (dans laquelle il se révèle un disciple de Rousseau, mais un disciple pessimiste et désabusé) et Oberman, 1804. Il publie également De l’amour en 1806 et les Observations sur le Génie du christianisme en 1816.

            Il vit retiré, en ermite, à Paris, et rien de semblait pouvoir l’arracher à ses méditations, lorsque les romantiques s’avisèrent de découvrir en lui un précurseur. Rôle ingrat et qui ne satisfit qu’à moitié l’écrivain. Le romantisme, il avait été l’un des premiers à la définir, à l’appeler de ses vœux, dès 1804, mais un romantisme éternel, et qui transcende les coteries et les écoles, un romantisme qui soit le style de l’avenir, le langage universel. Il écrivit aussi en 1834 Isabelle, double féminin de Oberman.

            Les dernières années furent marquées par la souffrance et l’infirmité ; il mourut paralysé ç Saint-Cloud. Jusqu’à sa dernière heure, il consacra toutes ses forces à l’achèvement de son ultime version, entièrement remaniée, des Libres Méditations.

            Senancour se voulait avant tout philosophe ; c’est pourtant le poète qui attire en lui. Il est de ceux qui ont su créer des images. L’île, le sommet, la fleur, un champ de blé ou un vallon, il a pu les métamorphoser en symboles. Il a inauguré un art du paysage, de la description impressionniste et symboliste. En voulant essentiellement rechercher le mot juste, la pureté de la langue, il créait un art très neuf pour manifester cette profonde fusion de l’homme et de l’univers, de la conscience et de la matière. Il a découvert, entre les emblèmes essentiels du monde et les variations de sa vie intérieure, une Unité supérieure, construite par les correspondances au sens baudelairien.

            Les motifs majeurs de son univers poétique, neige, altitude, eau nocturne, fleurs alpestres, prirent forme en Suisse, terre bénie pour un grand lecteur de Rousseau, qui constitue avec les romantiques allemands une de ses lecteurs favorites, où il avait fui pour échapper à son père qui voulait le faire entrer au séminaire de Saint-Sulpice.

            Oberman, roman d’inspiration autobiographique (Senancour a toujours refusé cette attribution) exprime la détresse existentielle d’une âme angoissée par sa vaine quête d’un sens supérieur (Je voudrais savoir !), qui se traduit par l’incurable tristesse du héros. C’est une forme originale du mal du siècle, la plus profonde et la moins guérissable. En lisant les lettres d’Oberman, nous sommes frappés puis pénétrés par un ennui, une tristesse profonde d’ordre métaphysique, un découragement indicibles, que la qualité lyrique de l’expression rend pour ainsi dire contagieux. Ce malaise essentiel, lié au fait même d’exister, négation spontanée de la joie de vivre, est d’origine métaphysique : il vient de l’âme bien plus que du cœur. Oberman est assoiffé d’absolu, d’éternité ; comme il reste résolument hostile au christianisme, il en est réduit à chercher dans le symbolisme pythagoricien du nombre ou les visions de Swedenborg un apaisement à son inquiétude. Il aboutit finalement non pas à la paix et à la sérénité, mais, par la pratique de la résignation, à une sorte de sagesse désabusée. Dans ce livre, il exprime également un thème que reprendront et développeront les romantiques, celui de l’étranger : Etranger dans la nature réelle, ridicule au milieu des hommes, je n’aurai que des affections vaines.   Oberman nous révèle dans toute son ampleur et analyse de la façon la plus pénétrante le mal dont il souffre. Cette incurable tristesse, sans motifs apparents, a une cause profonde : la présence d’aspirations illimitées chez un être qui ressent cruellement ses limites et n’est pas tenu par une foi religieuse. On songe à l’homme tel que le peindra Lamartine, borné dans sa nature, infini dans ses voeux. Ce qui rend si pénétrant l’accent de Senancour, c’est pour une large part l’absence de toute emphase, la sincérité absolue. Il connaît sans doute l’amère volupté de la mélancolie, mais il ne nous jamais l’impression de se complaire à son mal ou de s’en parer.

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Commentaires
G
J'apprends beaucoup après avoir lu cet article. J'aime aussi Oberman.<br /> Bonne journée
K
Jamais entendu parler de lui, mais je vais tâcher de le lire au plus vite, je sens que je vais aimer. Merci.
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